Nul n’ignore que toute personne qui prétend avoir personnellement souffert du dommage directement causé par une infraction dispose d’une action civile qu’elle peut choisir d’exercer devant une juridiction répressive ou une juridiction civile (C. pr. pén., art. 2, 3 et 10). Mais, lorsqu’il est question de prescription, le régime de cette action est mal assuré.

L’infraction, lorsqu’elle est la source d’un dommage, donne naissance à un droit de créance (P. Jourdain, La date de naissance de la créance d’indemnisation, LPA 9 nov. 2004. 49 ; v. égal., P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 6e éd., LexisNexis, 2023, n° 582 ; A. Bénabent, Droit des obligations, 20e éd., LGDJ, 2023, n° 692 ; J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux et L. Andreu, Les obligations. Le fait juridique, 15e éd., Sirey, 2023, n° 479). Chacun se souvient sans doute, à cet égard, que celui qui a personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction peut, après avoir exercé l’action civile devant une juridiction pénale, saisir une juridiction civile de sa demande de réparation (C. pr. pén., art. 5) ; et, pour déterminer si l’action ainsi exercée devant lui n’est pas prescrite, le juge civil n’a qu’à faire application des dispositions de l’article 10 du code de procédure pénale, qui indiquent que l’action civile exercée devant une juridiction civile « se prescrit selon les règles du code civil ».
La règle est bien connue : « la demande en justice […] interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion » (C. civ., art. 2241). Il en découle que l’exercice de l’action civile devant le juge pénal est susceptible d’interrompre le délai de prescription : la chose va pratiquement d’elle-même si la personne qui se prétend victime cite directement à comparaître devant une juridiction pénale celui qu’elle estime être l’auteur de l’infraction ; mais elle est également admise lorsque la constitution de partie civile est matérialisée par une plainte adressée au doyen des juges d’instruction. Parce que, devant une juridiction d’instruction, le plaignant acquiert la qualité de partie civile « par sa manifestation de volonté accompagnée du versement de la consignation fixée par le juge d’instruction » (Crim. 3 nov. 2020, n° 19-81.627, inédit, Légipresse 2021. 177, étude N. Verly ; RSC 2021. 111, obs. E. Dreyer
; 15 mai 2002, n° 01-83.337 P ; 9 nov. 1998, n° 96-85.578 P), les juridictions civiles ont admis que les termes employés dans la plainte avec constitution de partie civile peuvent révéler une demande au justice (Civ. 2e, 16 déc. 2021, n° 20-12.918, inédit ; 7 janv. 2016, n° 13-12.387, inédit ; Com. 28 avr. 1998, n° 95-15.453 P ; Cass., ch. mixte, 24 févr. 1978, n° 73-12.290 P ; v. égal., qui exclut tout effet interruptif, Com. 17 déc. 2002, n° 98-20.395, inédit) ; même si l’interpellation de celui que l’on souhaite empêcher de prescrire n’est alors pas immédiate (il peut en être informé ultérieurement en sa qualité de témoin assisté ou de mis en examen), cela n’empêche pas l’effet interruptif de prescription de se produire (v. pour d’autres hypothèses, Soc. 13 janv. 2019, n° 17-26.504, inédit ; 26 sept. 2002, n° 00-18.361 P, D. 2002. 3062
; Civ. 2e, 29 nov. 1995, n° 93-21.063 P, RDI 1996. 578, obs. P. Malinvaud et B. Boubli
; RTD civ. 1996. 465, obs. R. Perrot
; 11 déc. 1985, n° 84-14.209 P).
Mais, indique l’article 2243 du code civil, cet effet interruptif est non avenu en cas de rejet définitif de la demande. Pour cette raison, l’effet interruptif de prescription attaché à une plainte avec constitution de partie civile est regardé comme non avenu lorsque cette plainte a conduit au prononcé d’une ordonnance de non-lieu ou d’un jugement de relaxe (Com. 12 juill. 2011, n° 10-19.579, inédit ; Civ. 2e, 14 mai 2009, n° 08-13.967, inédit ; Com. 24 juin 2008, n° 07-15.951, inédit ; Civ. 2e, 30 juin 2004, n° 03-11.884, inédit).
Doit-il en aller de même lorsque la demande qui avait été formée devant le juge répressif, qui doit faire application des règles de prescription de l’action publique (C. pr. pén., art. 10), a été déclarée irrecevable comme prescrite ?
Saisie de cette difficulté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation l’a pensé et a décidé, dans un arrêt du 19 septembre dernier, de faire application des…
Source :Dalloz actualités